Les deux malédictions

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Les deux malédictions

Les deux malédictions
Dans la forêt de bambous, où la clarté déclinante se muait peu à peu en brume grise, le jeune guerrier se tenait là, devant moi. Sa lame était encore rouge de sang, il venait de tuer brutalement, en moins d’une minute, quatre soldats aguerris. Et pourtant, je pouvais lire la peine dans ses yeux. Ainsi que la jeunesse tendre d’un garçon perdu. Je savais que je ne pouvais vaincre un tel adversaire, je fonçait tout de même sur lui, la rage au corps.

Un conte de la Bibliothèque Incendiée

Livre numérique seulement.

Cela dit, tous les contes de la Bibliothèque Incendiée sont disponible dans un livre "papier".

ISBN: 978-2-9821417-0-4
Éditions Didascalie


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Extrait - Les deux malédictions


Cela faisait deux jours que j’étais ligoté aux pieds et aux poignets. Je ne pouvais faire que des petits pas sur le sentier exigu, mais les chasseurs de primes qui m’avaient capturé en faisaient fi. Si je ne restais pas à leur hauteur, ils me renversaient avant de m’assaillir de coup de pied et de me traîner par terre sur une bonne distance. J’avais déjà la chair à vif aux chevilles.

Il faut dire que ces salauds ne m’avaient pas ménagé, lors de ma capture. Je dormais dans ma cachette. Une grotte sur la montagne Shizuoyama, c’est là où je me terrais depuis que ma tête avait été mise à prix. Je ne sais pas comment ils m’avaient pisté, mais ces brutes me sont tombés dessus en pleine nuit, m’ont ficelé, m’ont roué de coups. Ils m’emmenaient maintenant au palais du seigneur Matakushi pour toucher leur prime. Une belle somme, j’espère.

Au sortir du sentier de la forêt, nous avions cheminé sur une piste entourée de rizières, lorsqu’à l’approche d’un bosquet de bambous, il me prit une sorte de rage, comme un vêtement qui gratte, comme de fines coupures sur la peau. J’eus envie de courir dans ce bosquet et d’y tuer tout ce qui s’y trouvait. Le plus étrange fut l’attitude de mes ravisseurs. Il semblait qu’eux aussi ressentaient la même pulsion de violence. Deux d’entre eux avaient commencé à se quereller et les deux autres regardaient le bosquet d’un œil mauvais.

— Je veux aller voir dans ce bosquet, fit le capitaine, un grand baraqué. Vous autres, restez ici avec le prisonnier.

— Je viens aussi, fit son second, un petit maigre malodorant.

Ils accoururent dans les bambous, suivis de mes deux autres gardiens, un rondelet édenté et une brute colossale. Et moi, aussi stupide que cela puisse paraître, plutôt que de m’enfuir, je les suivis. J’étais incroyablement attiré par… je ne sais quoi, mais cela se trouvait là, non loin. Entraîné par ce désir de cogner, je plongeai dans le bosquet de bambous, même si je n’aurais rien pu frapper, ligoté comme je l’étais.

Jamais n’avais-je vu une scène d’une telle violence. L’un avait déjà le bras tranché à l’épaule, l’autre était à genoux et hurlait, tandis que le capitaine et le colosse se préparaient à l’assaut. Leur adversaire, un jeune homme debout, l’air serein, tenait une lame déjà rougie par le sang. Le soleil perçait les feuilles de la canopée et venait saupoudrer son kimono de taches brillantes. Le capitaine dégaina un poignard et fonça sur le jeune homme. Le jeune homme au katana esquiva et prolongea le mouvement de son assaillant de manière à ce que le poignard vienne frapper le colosse en plein visage. Puis le jeune guerrier pivota agilement et trancha la gorge du capitaine d’un coup sec. Ce dernier s’écroula au sol lourdement. Le colosse était à quatre pattes, un fleuve de sang lui giclait du visage. Celui de mes ravisseurs qui hurlait à genoux était maintenant étendu, mort. L’homme au bras tranché se mit à fuir. Le jeune guerrier prit son arc, encocha une flèche, visa lentement puis décocha. La flèche fit un arc de cercle vers le fuyard déjà loin. Elle l’atteignit au mollet. Avec un cri, l’homme trébucha. Il eut à peine le temps de se relever que le jeune guerrier le rattrapa et lui donna un coup de pied dans le dos. Le blessé s’affala. Le guerrier sortit une dague et poignarda sa victime dans le dos. Une fois dans chaque poumon.

Le jeune homme retourna voir le colosse au visage tranché. Toujours à quatre pattes, le sang jaillissant encore de l’entaille, il ne criait plus. C’était plutôt un râle guttural qu’il poussait à chaque expiration. Le jeune guerrier reprit son sabre et lui trancha la tête. Ses adversaires étaient tous morts. Et cela n’avait pas pris deux minutes.

Le jeune guerrier leva son visage vers moi. Des gouttelettes de sang tachaient sa peau pâle, des éclaboussures rougissaient également ses vêtements blancs, et ses mains ensanglantées serraient une épée dégoulinante. Et pourtant, je pouvais lire la peine dans ses yeux. Ainsi que la jeunesse tendre d’un garçon perdu.



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