La fille de la nourrice

Illustration : Justine Codron

La fille de la nourrice

La fille de la nourrice
« Arrêtez ! s’entendit-elle crier. Arrêtez les fiançailles. » Elle monta debout sur son banc. L’évêque s’était tut, la bouche béante, les yeux écarquillés, n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. « Vous ne pouvez pas vous promettre l’un à l’autre si vous ne vous aimez pas, lança encore la jeune fille d’une voix claire. Le mariage, ce n’est pas pour le pouvoir ou les intrigues politiques. Le mariage, c’est pour l’amour, c’est pour la vie. » Elle fut alors brusquement attrapée par un garde qui la maintint bâillonnée de sa grosse main poilue, et fut transportée dehors. Toute l’assistance la regardait se faire expulser par le colosse.

Un conte de la Bibliothèque Incendiée

Livre numérique seulement.

Cela dit, tous les contes de la Bibliothèque Incendiée sont disponible dans un livre "papier".

ISBN: 978-2-9818932-7-7
Éditions Didascalie


×

Extrait - La fille de la nourrice


Il y a très longtemps, une reine mit au monde une fille pendant que son mari le roi était parti à la chasse. La reine ne survécut pas à l’accouchement. On plaça le nouveau-né sur le sein de la nourrice qui venait également d’avoir une fille. Cette dernière dormait paisiblement dans son berceau, tandis que la princesse était bien au chaud contre la nourrice, lorsque le roi entra précipitamment.

— Je viens d’apprendre la nouvelle, souffla-t-il. J’ai accouru au plus vite. La reine, ma femme... quel drame ! Au moins, j’ai le plus grand réconfort.

Et il prit dans ses bras le nourrisson dans le berceau. Il souleva la fille de la nourrice et dit :

— Ma fille, ma princesse !

La nourrice écarquilla les yeux, mais resta figée. Devait-elle interrompre le monarque ? Comment dire à son roi qu’il se fourvoie ? Le roi reposa la fillette et s’en fut. Il était trop tard pour réparer la méprise. C’est ainsi que la fille de la nourrice devint princesse à la place de la fille du roi. Sur ce sujet, la nourrice ne souffla mot à personne.

Les années passèrent et les filles grandirent. Manon, la fille de la nourrice, fut éduquée comme il sied à une princesse : elle apprit à lire, à faire la révérence et à obéir. Sylvie, elle, fut élevée comme toute jeune servante dans un palais : elle apprit la débrouillardise. Elle connaissait le palais comme le fond de sa poche. Et elle aidait, tantôt le cuisinier pour avoir une tartelette, tantôt la mercière pour avoir un ruban à se mettre dans les cheveux et même le palefrenier, pour pouvoir caresser les chevaux. Les deux fillettes grandirent ensemble et devinrent très proches. À vrai dire, elles étaient pratiquement toujours ensemble. Les rares exceptions furent lors des leçons de la princesse, lorsque Sylvie devait ranger les affaires de la princesse, lors des repas, que Sylvie prenait en bas aux cuisines et la nuit, que Sylvie passait dans une toute petite pièce, où elle logeait avec la nourrice.

Sylvie devint la femme de chambre de Manon. Elle lui préparait ses robes, l’aidait à se vêtir et la préparait pour le coucher. Elles se disaient tout, lors de ces moments où elles devenaient de plus en plus intimes. C’est ainsi que, lorsqu’elle et la princesse avaient quinze ans, Sylvie apprit qu’un prince allait bientôt venir au château.

— C’est que... vois-tu, confia Manon assise à sa coiffeuse, mon père le roi est malade.

— Comment ? s’écria Sylvie en cessant de lui brosser les cheveux, c’est affreux !

— Oh non, pas affreux du tout. Je me passerais bien de tous ses ordres : « Va saluer le duc de Ceci », fit Manon en imitant l’intonation du roi, « Mémorise bien l’histoire de notre royaume, ma fille », « Et va converser avec la comtesse de Cela. » Je n’en peux plus, il ne me laisse jamais tranquille.

— Mais c’est parce qu’il vous aime, lança Sylvie avec un sourire espiègle, car elle savait très bien que la princesse allait lever les yeux au ciel.

Et elles éclatèrent de rire.

— Mais, la maladie du roi votre père, est-ce grave, dites-moi ? s’enquit la femme de chambre.

— Assez grave pour qu’il songe à me marier. J’aime bien les garçons, mais je les trouve un peu stupides. Ça ne me plaît pas tellement de devenir la femme d’un garçon.



Aussi disponible dans toutes librairies numériques,
voici aussi des liens vers quelques boutiques :

Kindle
Kobo
Fnac
Apple iBooks