Le jeune homme ensommeillé

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Le jeune homme ensommeillé

Le jeune homme ensommeillé
Depuis ce jour, Lorenzo ne fut jamais totalement éveillé. Quoi que le précepteur Dolta fasse, quoi que Vittorio son père dise, Lorenzo avait toujours les yeux mi-clos et semblait à demi-endormi. Il ne put rien apprendre, il mangeait peu, il se traînait, il marmonnait plutôt que de s’exprimer clairement comme il l’avait toujours fait. Et son rire ne faisait désormais plus écho dans la grande maison. Vittorio et Domenica eurent un peu l’impression d’avoir perdu leur fils adoré. Ils firent venir le médecin, puis le prêtre, puis le docteur, ensuite un exorciste, un moine et une diseuse de bonne aventure, toujours dans l’espoir d’éveiller Lorenzo pour de bon. Mais rien ni personne ne put changer leur garçon. Dans le quartier, on commença à l’appeler « le jeune homme ensommeillé ».

Un conte de la Bibliothèque Incendiée

Livre numérique seulement.

Cela dit, tous les contes de la Bibliothèque Incendiée sont disponible dans un livre "papier".

ISBN: 978-2-9818932-8-4
Éditions Didascalie


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Extrait - Le jeune homme ensommeillé


Il y a bien longtemps, on pouvait se rendre sur la rue Dei Velluttini à Florence et y trouver la magnifique boutique de Vittorio Della Stapardina. Cette mercerie offrait les plus beaux tissus que l’on trouvait en Europe. Vittorio était lui-même le fils d’un célèbre marchand de masques et costumes. Il habitait un superbe hôtel particulier, à deux pas d’une place publique au cœur de la ville, avec sa femme Domenica et son unique fils Lorenzo.

Vittorio s’assura que Lorenzo soit vêtu des habits les plus luxueux, qu’il mange les mets les plus rares et qu’il ait une éducation impeccable.

— Un jour, mon fils, tu deviendras marchand à ton tour. Et tu seras riche. Et tellement connu, que les Médicis te prendront comme ambassadeur et tu parcourras toute l’Europe.

Ça lui disait bien au jeune Lorenzo de parcourir le monde, de voyager de ville en ville, de voir d’autres pays. Quant à la richesse, il ne savait trop ce que cela voulait dire, car il n’avait jamais manqué de rien.

Les Della Stapardina eurent recours aux services du fameux précepteur Dolta pour faire l’éducation de Lorenzo. Il apprenait les sciences, les langues, les arts et même des rudiments d’escrime. Lorenzo était un élève doué qui faisait la fierté de ses parents.

Un jour cependant, Lorenzo devait avoir onze ou douze ans, la famille Della Stapardina dut faire un voyage à une station balnéaire de la côte, car le rhume que Domenica avait contracté cet hiver s’obstinait à la faire tousser. Lorenzo, lui, n’avait que faire des bains et de la mer, il préférait plutôt gambader au hasard des rues, dans le petit village adjacent. Il vit alors, à l’ombre d’une maison qui semblait abandonnée, un puits. Ce n’était pas plus qu’un trou au sol, dallé de grosses pierres plates et flanqué d’un seau noué à une corde. Il avait semblé à Lorenzo avoir vu une lueur miroitante qui venait du puits. Il se mit à plat ventre et passa sa tête au-dessus du trou.

Tout était noir à l’intérieur. « Oho ! » cria-t-il. La réverbération de sa voix sur les pierres lui assourdit les oreilles. Il se hissa un peu plus loin, la fraîcheur du puits sur son visage avait quelque chose d’apaisant. C’est alors qu’il crut voir quelque chose. Ah non, c’était un reflet. Lorenzo voulut se retirer, mais les pierres étaient soudain moites. Il parvint à se hisser, mais sa main glissa et il tomba, tête la première, dans le puits.

L’eau glacée le saisit, ses mains tentèrent d’agripper la paroi, mais il n’avait pas de prise et il lui sembla se débattre dans l’eau visqueuse, la tête en bas, pendant une éternité. Il sentit alors quelque chose qui le touchait, qui le frottait, qui l’entourait, qui lui enserrait les bras et les jambes. Ça ne devait être que des algues et pourtant, il semblait à Lorenzo qu’elles étaient chaudes comme la chair et qu’elles s’agrippaient à lui, comme les bras maigres des mendiants. Il avait toujours la tête en bas et ne pouvait pas respirer, mais plus il se débattait, plus les algues le serraient fort. Alors, Lorenzo se laissa aller, il détendit ses muscles et se laissa toucher par ces membres aquatiques. Ces derniers se relâchèrent également et se mirent à caresser le jeune homme. En quelques instants, elles lui remirent la tête en haut et le portèrent jusqu’à la surface de l’eau. Le jeune homme prit une immense goulée d’air à l’instant où sa tête passait la surface de l’eau.

Il ne fut trouvé que des heures plus tard. Sa mère le tenait dans ses bras, Lorenzo tremblait encore, les lèvres bleues, les yeux mi-clos. Ses lèvres semblaient toujours appeler « À l’aide ! À l’aide ! » Et puis le garçon s’endormit.

Depuis ce jour, Lorenzo ne fut jamais totalement éveillé. Quoi que le précepteur Dolta fasse, quoi que Vittorio son père dise, Lorenzo avait toujours les yeux mi-clos et semblait à demi-endormi. Il ne put rien apprendre, il mangeait peu, il se traînait, il marmonnait plutôt que de s’exprimer clairement comme il l’avait toujours fait. Et son rire ne faisait désormais plus écho dans la grande maison.

Vittorio et Domenica eurent un peu l’impression d’avoir perdu leur fils adoré. Ils firent venir le médecin, puis le prêtre, puis le docteur, ensuite un exorciste, un moine et une diseuse de bonne aventure, toujours dans l’espoir d’éveiller Lorenzo pour de bon. Mais rien ni personne ne put changer leur garçon. Dans le quartier, on commença à l’appeler « le jeune homme ensommeillé ».



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